Pilule abortive : efficace sur la brevetabilité ?

birth control pills

L’interruption volontaire de grossesse (IVG) est interdite dans certains pays, autorisée dans d’autres. 

Mais dans tous les pays, elle provoque de nombreux débats essentiellement basés sur sa moralité, c’est-à-dire sa contrariété aux bonnes mœurs, à l’ordre public, à la religion, à la nature. 

La pilule abortive fait partie de la catégorie des médicaments dans la mesure où elle est soumise à l’obtention d’une AMM au moins en Europe et aux Etats-Unis, et doit être prescrite par un médecin. 

Les deux principaux ingrédients actifs de la pilule abortive utilisés sont la mifépristone mise sur le marché européen en 1982 et le misoprostol. 

La question traitée ici est la question de la brevetabilité de la pilule abortive elle-même. 

En effet, la majorité des lois sur les brevets prévoient des exceptions à la brevetabilité, dont celle des inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs ainsi que des méthodes de traitement thérapeutiques appliquées au corps humain. 

Dans la Convention sur le Brevet Européen (CBE) ces exceptions à la brevetabilité sont explicitement nommées dans son article 53 et sa règle 28. 

Ainsi, l’article 53 de la Convention sur le Brevet Européen prévoit que : 

« Les brevets européens ne sont pas délivrés pour :

  1. les inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs; une telle contradiction ne pouvant être déduite du seul fait que l’exploitation est interdite, dans tous les Etats contractants ou dans plusieurs d’entre eux, par une disposition légale ou réglementaire ;
  2. […..] ; 
  3. les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique appliquées au corps humain ou animal, [……] ; cette disposition ne s’appliquant pas aux produits, notamment aux substances ou compositions, pour la mise en œuvre d’une de ces méthodes. » 

On pourrait donc en déduire que la brevetabilité de la pilule abortive pourrait être contestable selon la CBE car son exploitation commerciale serait contraire au moins aux bonnes mœurs et/ou car son utilisation viserait une méthode de traitement thérapeutique du corps humain. 

Nous avons dit précédemment que la majorité des lois sur les brevets prévoient des exceptions à la brevetabilité.  

La majorité car une exception notable est la loi sur les brevets des États-Unis qui ne contient pas d’article ou de règle précisant quelles sont les inventions exclues de la brevetabilité.  

L’article 35 U.S.C. § 101 définit simplement ce qui est brevetable. 

Cela signifierait-il que toutes les inventions , y compris la pilule abortive et son utilisation, seraient incontestablement brevetables aux Etats-Unis? 

Tel n’est pas le cas car les Etats-Unis ont ratifié les accords TRIPS. 

Or, ces accords contiennent des clauses concernant la propriété intellectuelle. 

En particulier, les articles 27.2 et 27.3 de ces accords Trips définissent les exclusions la brevetabilité, ces exclusions visant à la protection de l’ordre public ou de la moralité, incluant la protection de la vie humaine ou animale. Elles visent aussi à protéger contre un préjudice grave porté à l’environnement. 

Ainsi, la brevetabilité d’invention contraires à l’ordre public ou à la moralité pourraient être contestée, également aux Etats-Unis, ou portant atteinte à la vie humaine pourrait être contestée aux Etats-Unis, sur la base des articles 27.2 et 27.3 des accords TRIPS. 

Il s’agirait alors de l’application d’une jurisprudence créée par les tribunaux des Etats-Unis. 

Alors, l’article 53 de la CBE et les articles 27.2 et 27.1 des accords TRIPS ont-ils été utilisés pour s’opposer à la brevetabilité de la pilule abortive ? 

Non. 

abortion pill: effect on patentability

Car ce qui a été breveté ce sont les molécules mifépristone et misoprostol en elles-mêmes. 

Et les brevets couvrant ces molécules ne comportaient aucune revendication visant à protéger une pilule abortive ou une méthode d’avortement l’utilisant ou encore l’utilisation de la mifépristone et/ou du misoprostol pour la mise en œuvre d’une IVG. 

Ainsi, rien ne permettait de soutenir que l’exploitation commerciale de la mifépristone ou du misoprostol était contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. 

En réalité, le rejet de demandes de brevet ou l’annulation de brevets pour ce motif ne s’est jamais produit aux Etats-Unis, à la connaissance du rédacteur. 

En Europe, la brevetabilité d’une souris modifiée génétiquement pour développer naturellement un cancer a été contestée sur la base de la contrariété à la morale en raison de la souffrance causée à ces souris lorsqu’elles développaient le cancer et qu’elles étaient utilisées pour tester différents protocoles et médicaments contre le cancer qu’elles développaient. 

Mais l’Office Européen des Brevets a finalement conclu à la brevetabilité de ces souris car ce qui est à mesurer avec diligence est l’équilibre entre la souffrance de l’animal et le bénéfice pour l’humanité que procure l’invention. 

En conclusion, la brevetabilité de la pilule abortive n’a pas été contestée, faute d’avoir été soumise à l’épreuve de la brevetabilité. 

On voit ici que même si une invention semble présenter des risques quant à sa brevetabilité, elle peut être valablement et facilement protégée par un brevet, selon la rédaction des revendications.  

Chantal Noël – European and French Patent Attorney