
Le dépôt de brevets constitue souvent un aspect important de la mise en œuvre d’une stratégie de propriété intellectuelle pour les entreprises innovantes. Cependant, les brevets ne sont pas le seul moyen de protéger une invention. En fait, dans certains cas, le dépôt d’une demande de brevet n’est pas forcément recommandé.
En effet, une demande de brevet est généralement publiée 18 mois après son dépôt (ou sa date de priorité), ce qui signifie que tous les détails techniques et le savoir-faire qui y sont décrits deviennent accessibles au public. Ce simple fait peut avoir des conséquences importantes pour votre entreprise et influencer la manière dont vous protégez votre innovation.
Cela soulève également des questions importantes, telles que : Voulez-vous vraiment donner accès à vos concurrents aux données techniques et au savoir-faire de vos inventions ou voulez-vous garder tout ou partie de ces informations secrètes ? Est-il judicieux de déposer systématiquement un brevet pour chaque invention ?
Que sont les secrets d’affaires et les brevets et que protègent-ils ?
Selon la directive européenne 2016/943 du 08/06/2016, le “secret des affaires” désigne une information remplissant toutes les conditions suivantes : (a) elle est secrète ; (b) elle a une valeur effective ou potentielle parce qu’elle est secrète ; (c) elle a fait l’objet de mesures de protection raisonnables pour la garder secrète [1].
Les secrets d’affaires peuvent par exemple être utilisés pour protéger : des procédés de fabrication, des recettes, des méthodes d’analyse, des listes de clients et de fournisseurs, des analyses marketing, des logiciels, des données de R&D, du savoir-faire, des informations financières, des méthodes commerciales et des informations sur les prix.
Un brevet est un titre de propriété intellectuelle enregistré. Selon la Convention sur le Brevet Européen (CBE), une invention est brevetable si elle est nouvelle, inventive et susceptible d’application industrielle [2].
Les brevets peuvent par exemple protéger des dispositifs, des composés chimiques, des compositions (mélanges de composés), des procédés (ou méthodes), des utilisations, des systèmes et des inventions mises en œuvre par ordinateur.
Cependant, tout ne peut pas être breveté. Les découvertes, les théories scientifiques et les méthodes mathématiques, les créations esthétiques, les plans, les règles et les méthodes pour accomplir des actes mentaux, jouer à des jeux ou faire des affaires, ainsi que les programmes pour ordinateur, les présentations d’informations ne sont pas (en tant que tels) considérés comme des inventions par la CBE et ne peuvent donc pas être brevetés en tant que tels [2]. Il existe certaines solutions de contournement concernant les programmes pour ordinateurs, comme expliqué ici [3].
Certaines inventions sont également explicitement exclues de la brevetabilité, comme celles qui sont contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, les variétés végétales ou animales ou les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux, les méthodes de traitement du corps humain ou animal par chirurgie ou thérapie et les méthodes de diagnostic pratiquées sur le corps humain ou animal [4].
Avantages des brevets par rapport aux secrets d’affaires
Compte tenu de ce qui précède, certains pourraient être tentés de penser que la meilleure stratégie consiste à tout garder secret et à ne jamais déposer de demande de brevet. Cependant, dans la plupart des cas, ce n’est pas la stratégie adéquate.
Comme expliqué, une information peut être considérée comme un secret d’affaires si, entre autres, des mesures raisonnables ont été prises pour la garder secrète. Ces mesures peuvent comprendre, par exemple, la mise en place d’accords de non-divulgation, le contrôle et la restriction de l’accès interne aux secrets d’affaires, la notification aux employés de la nature secrète des informations auxquelles ils ont accès [5] [6]. Il est donc clair qu’une stratégie efficace en matière de secrets d’affaires ne se limite pas à déclarer qu’un élément d’information donné est secret.
En outre, il n’y a pas de violation du secret d’affaires si un concurrent commercialise un produit qu’il a lui-même développé de manière indépendante (sans avoir connaissance des secrets d’affaires d’une autre entreprise) [6]. A l’inverse, cette commercialisation par ce concurrent pourrait être bloquée par un brevet. C’est un avantage que des brevets par rapport aux secrets d’affaires.
Un autre avantage des brevets sur les secrets d’affaires est qu’ils peuvent être utilisés à des fins de marketing et pour attirer les investisseurs. Cela est évidemment plus difficile avec les secrets d’affaires, car ceux-ci doivent rester secrets.
Un avantage supplémentaire des brevets est qu’ils peuvent être utilisés comme outils de négociation. Prenons une situation dans laquelle vous envisagez de mettre ou non sur le marché un produit qui semble enfreindre un brevet de votre principal concurrent. Par ailleurs, vous possédez également un brevet de portée plus étroite qui protège ledit produit. Dans ce cas particulier, vous et votre concurrent pourriez potentiellement vous empêcher mutuellement d’exploiter le produit. Une solution avantageuse à cette situation serait d’offrir une licence à votre concurrent en échange d’une licence sur le brevet de votre concurrent (licences croisées). Il est évident que l’issue de cette situation particulière serait très différente si vous aviez choisi de garder votre invention secrète.
Les brevets et les secrets d’affaires peuvent être vendus ou concédés sous licence, ce qui, dans certains cas, peut générer des revenus importants [6].
Avantages des secrets d’affaires par rapport aux brevets
Les brevets sont des droits enregistrés, valables pendant vingt ans (à compter de la date de dépôt) et obtenus après une procédure d’examen. En outre, ils nécessitent le paiement de frais de renouvellement pour être maintenus en vie. En revanche, les secrets d’affaires ne nécessitent pas d’enregistrement et peuvent en théorie exister pendant plus de vingt ans.
Comme nous l’avons vu plus haut, les informations financières, les études de marketing, les données pures (telles que les données de R&D) peuvent ne pas être brevetables. Par conséquent, il est clair que l’un des principaux avantages des secrets d’affaires par rapport aux brevets est que leur champ de protection potentiel est beaucoup plus large.
Dois-je garder mon invention secrète ?
Certaines entreprises choisissent de protéger au moins une partie de leurs inventions en tant que secrets d’affaires. Les droits d’usage antérieur peuvent alors être invoqués par cette entreprise pour continuer à exploiter une invention donnée protégée par un brevet appartenant à un concurrent. Toutefois, pour prouver l’usage antérieur, il est nécessaire de prouver que l’on a déjà utilisé l’invention brevetée avant la date de dépôt (ou la date de priorité) du brevet. En pratique, l’usage antérieur est bien souvent difficile à démontrer et celui-ci est limité à un territoire donné.
Si les détails de l’invention seront de toute façon rendus publiques, il est évident que le dépôt d’une demande de brevet est la forme de protection la plus appropriée. Il en va de même si votre invention concerne un produit qui peut facilement être rétro conçu par un concurrent.
Un autre point important à considérer est de savoir si une infraction potentielle est facilement détectable. Par exemple, un brevet couvrant un procédé de fabrication serait peu utile en termes de protection conférée s’il est littéralement impossible de savoir si des concurrents utilisent ledit procédé de fabrication. Toutefois, cela ne signifie pas que le dépôt d’une demande de brevet dans ces cas n’est pas nécessaire. Il est peut-être difficile de détecter la contrefaçon aujourd’hui, mais le sera-t-il à l’avenir ?
En conclusion, la décision de déposer une demande de brevet ou de garder une invention secrète dépend du type de technologie, du contexte et du risque qu’une entreprise est prête à prendre. La décision doit être prise au cas par cas. Dans de nombreux cas, une approche mixte – breveter certains aspects de l’invention (par exemple, les caractéristiques du produit et une partie du processus (de production)), tout en gardant d’autres aspects de l’invention en tant que secrets d’affaires (par exemple, certains paramètres du processus de production) – est la plus appropriée.
Notez également qu’après avoir déposé une demande de brevet, le demandeur conserve la possibilité de la retirer avant sa publication, ce qui lui permet de garder le secret. La demande de brevet retirée peut ainsi être utilisée comme une preuve pour démontrer qu’à la date de dépôt, le (ex-)demandeur a développé une invention donnée. Cela pourrait être utile en cas de litige sur le secret d’affaires ou sur le droit au brevet.
N’hésitez pas à nous contacter pour discuter de la stratégie (secrets d’affaires ou brevets ou les deux) la plus appropriée pour votre invention.
Références
[1] DIRECTIVE (UE) 2016/943 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre leur acquisition, leur utilisation et leur divulgation illicites, Journal officiel de l’Union européenne, 15.6.2016, L 157/ 1-18.
[2] Convention sur le brevet européen – Convention sur la délivrance de brevets européens en vigueur depuis le 13 décembre 2007, Partie II, Chapitre I, Article 52 – Inventions brevetables.
[3] Samuel Denis, IP protection for software in Europe, 8.11.2021, Lexology.com, consulté le 29.03.2022 à l’adresse https://www.lexology.com/commentary/intellectual-property/european-union/gevers/ip-protection-for-software-in-europe.
[4] Convention sur le brevet européen – Convention sur la délivrance de brevets européens telle qu’en vigueur depuis le 13 décembre 2007, Partie II, Chapitre I, Article 53 – Exceptions à la brevetabilité.
[5] David W. Slaby, James C. Chapman, et Gregory P. O’Hara, Trade Secret Protection : An Analysis of the Concept Efforts Reasonable Under the Circumstances to Maintain Secrecy, 5 Santa Clara High Tech. L.J. 321 (1989).
[6] https://www.wipo.int/tradesecrets/en/ consulté le 29.03.2022
Roland Duchêne – European Patent Attorney