Les marques non-conventionnelles : les marques sonores

Dans le précédent article sur les marques non-conventionnelles,  nous avons vu que la suppression de l’exigence de représentation graphique en 2017 a permis aux entreprises de faire protéger, en Union européenne, de nouveaux types de marques « non traditionnelles », telles que les marques de position, les marques multimédias, etc. 

Cette suppression a également permis à des marques « non traditionnelles » qui pouvaient déjà être protégées avant cette date, de l’être plus efficacement par le biais de moyens techniques adaptés. 

C’est le cas des marques sonores. 

Ces marques pouvaient en effet déjà être déposées sous réserve d’une représentation des sons sur une portée musicale composée de notes. Seules des phrases musicales ou des mélodies pouvaient donc être protégées mais pas des sons portant sur des bruits, ceux-ci ne pouvant pas être retranscrits au moyen d’une portée. 

Les entreprises ont donc désormais la possibilité de faire protéger une large palette de sons (jingle, sons de la nature, mélodie avec ou sans paroles, etc.) lesquels peuvent constituer, au même titre que les marques dites « classiques », des identifiants commerciaux forts et donc des actifs incorporels de poids. 

 

1. Définition & modes de représentation 

Une marque sonore est une marque constituée exclusivement d’un son ou d’une combinaison de sons.  

Elle doit être représentée au moyen d’un fichier audio reproduisant le son ou d’une représentation précise du son au sein d’une notation musicale (portée). 

Le fichier audio doit être au format MP3 et sa taille ne doit pas excéder deux mégaoctets. 

Les notations musicales peuvent être déposées via un fichier JPEG ou sur une feuille A4.  

La notation musicale doit être la plus précise possible ce qui implique qu’elle comprenne tous les éléments nécessaires pour déterminer l’objet souhaité de la protection. Le tempo ou la vitesse de la mélodie et le ou les instruments constituent des éléments facultatifs qui peuvent être indiqués. 

La Cour de justice[1] rappelle que la représentation d’un son dans la notation musicale doit être fiable, claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective, ce qui implique ce qui suit :  

« une portée divisée en mesures et sur laquelle figurent, notamment, une clé (clé de sol, de fa ou d’ut), des notes de musique et des silences dont la forme (pour les notes: ronde, blanche, noire, croche, double croche, etc.; pour les silences: pause, demi-pause, soupir, demi-soupir, etc.) indique la valeur relative et, le cas échéant, des altérations (dièse, bémol, bécarre) – l’ensemble de ces notations déterminant la hauteur et la durée des sons -, peut constituer une représentation fidèle de la succession de sons qui forment la mélodie dont l’enregistrement est demandé. Ce mode de représentation graphique des sons répond aux exigences découlant de la jurisprudence de la Cour, selon laquelle cette représentation doit être claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective ». 

 

2. Distinctivité 

Les marques sonores sont soumises aux mêmes conditions de validité et aux mêmes critères d’appréciation de la distinctivité[2] que les autres catégories de marques. 

Une demande de marque sonore doit donc être distinctive et non descriptive à l’égard des produits et/ou services demandés, pour pouvoir constituer une marque valable. 

Le son choisi doit être intrinsèquement distinctif, c’est-à-dire qu’il doit être à la fois facilement mémorisable et apte à indiquer que les produits et/ou services demandés proviennent d’une seule et même entreprise.  

Pour ce faire, le son doit avoir « une certaine prégnance[3] » qui permettra au public visé de le percevoir et de le considérer comme une marque.  

Une telle prégnance fait défaut si le son est perçu comme un élément fonctionnel des produits et/ou services désignés ou comme un élément ne disposant d’aucune caractéristique intrinsèque propre. 

Bien que les critères d’appréciation du caractère distinctif soient les mêmes pour les différentes catégories de marques, la perception du public ne sera pas nécessairement la même pour toutes les catégories, et notamment pour les marques sonores. 

En effet, celles-ci ne peuvent pas être apposées sur les produits et ne seront pas nécessairement présentées lors de l’offre de services. De par leur nature, elles seront plutôt rencontrées par le public dans le cadre des activités promotionnelles, notamment à la télévision ou à la radio, menées par les entreprises.  

Le consommateur sera plus enclin à considérer la marque comme une indication d’origine commerciale si aucun lien ne peut être établi entre le son perçu dans la marque et les produits et/ou services, ou leurs caractéristiques. 

 

Aux fins de l’appréciation du caractère distinctif d’une marque sonore, l’EUIPO[4] propose la classification suivante : 

  • Sons produits par les produits et/ou services, ou liés à ceux-ci. Ils correspondent souvent à la nature ou à la fonction des produits, ou sont étroitement liés aux services, de sorte que leur distinctivité sera généralement considérée comme faible. 
  • Notes, combinaisons de notes, airs ou mélodies. Ces sons seront a priori peu susceptibles d’avoir un lien avec les produits et/ou services. Néanmoins, leur distinctivité dépendra des caractéristiques spécifiques des éléments sonores déposés. 
  • Sons équivalents à des éléments verbaux. Leur distinctivité dépendra essentiellement de celle des éléments verbaux concernés.  
  • Sons sans lien avec les produits et/ou services. Ils présentent logiquement un caractère distinctif. Toutefois, ils devront encore disposer d’une certaine « résonance » pour pouvoir être perçus comme une indication d’origine commerciale. 

Les sons suivants ne devraient donc pas pouvoir être acceptés : 

  • Les mélodies très simples composées d’une ou deux notes ; 
  • Les sons du domaine public ; 
  • Les sons trop longs ; 
  • Les sons habituellement associés à certains produits et/ou services. 

A titre d’exemples, il a été jugé par l’EUIPO que le son de baisers[5] pour désigner des jeux en classe 41 ne constituait qu’une séquence sonore très simple visant à la répétition d’un air banal, lequel ne permettait pas d’identifier l’origine commerciale desdits services. 

http://euipo.europa.eu/trademark/sound/EM500000018190039 

L’Office a également considéré que le son d’un moteur électrique qui accélère[6] pour désigner divers appareils d’avertissement sonores en classes 09 et 12, bien que composé de trois différents segments musicaux, n’était pas mémorisable et ne présentait pas de caractéristiques impactantes permettant au consommateur de le percevoir comme un signe mémorable, distinctif, impactant, imaginatif. Le son avait été considéré en outre comme trop long. 

http://euipo.europa.eu/trademark/sound/EM500000018825563 

Dans cette autre affaire, l’EUIPO a estimé que la mélodie[7] déposée était non seulement trop longue mais qu’en outre elle n’aura pas de résonance pour le consommateur qui ne pourra donc pas lui attribuer une signification. 

http://euipo.europa.eu/trademark/sound/EM500000018808525 

Des enregistrements de marques sonores sont toutefois régulièrement acceptés par l’EUIPO, comme par exemple, une longue mélodie incluant des paroles[8] pour désigner divers produits et services en classes 15, 16, 18, 21, 25, 35 et 41 : 

https://euipo.europa.eu/trademark/sound/EM500000018817652 

ou encore un jingle[9] de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) déposé fin 2023 et enregistré fin janvier 2024 par l’EUIPO : 

http://euipo.europa.eu/trademark/sound/EM500000018887647 

 

3. Appréciation du risque de confusion entre marques sonores et entre marque sonore et d’autres types de marques 

Les marques sonores étant encore relativement peu déposées, peu de décisions visant la défense de ces titres spécifiques permettent aujourd’hui de dégager des critères pratiques et concrets sur la comparaison de marques sonores entre elles et sur celle des marques sonores avec d’autres types de marques (verbales ou encore multimédias). 

Dans ses pratiques communes[10], l’EUIPO vient toutefois exposer différents cas de figure. 

Tout d’abord, la comparaison visuelle n’est pas applicable en matière de marques sonores puisque celles-ci sont constituées exclusivement d’un son ou d’une combinaison de sons. 

Sans surprise, la comparaison phonétique est en revanche déterminante. 

Sur ce point, les hypothèses suivantes peuvent être relevées : 

  • Lorsqu’une marque sonore contient un élément verbal distinctif (prononcé), sa présence aura généralement une influence significative puisque les consommateurs désignent généralement les produits et/ou services par leur nom ; 
  • L’identité ou la similitude d’un élément verbal distinctif aura a priori un impact plus important sur le résultat de la comparaison phonétique des marques ; 
  • Une similitude entre deux marques sonores sera possible même en cas de différences des éléments verbaux si les signes coïncident dans un autre aspect distinctif, tel que dans leur mélodie ; 
  • Un instrument, un tempo ou un rythme différent n’empêchent pas deux marques d’être similaires si la mélodie elle-même, c’est-à-dire une succession rythmique de tonalités, est identique ou susceptible d’être perçue comme identique ;  
  • Une similitude entre une marque sonore incluant des éléments verbaux et d’autres types de marques comportant des éléments verbaux (par exemple une marque verbale) pourra être reconnue en cas d’identité ou de similitude entre ces éléments verbaux distinctifs. Si la perception auditive de la marque sonore sera déterminée uniquement par le son produit, elle le sera selon les règles de prononciation du public pertinent s’agissant de l’élément verbal de l’autre marque. 

Enfin, la comparaison conceptuelle entre deux marques sonores ou entre des marques sonores et d’autres types de marques peut être effectuée si un concept s’en dégage et peut être identifié par le consommateur. Si la marque sonore contient des éléments verbaux, leur signification pourra permettre d’identifier un concept. 

 

4. Conclusion 

Seule une trentaine de marques sonores de l’Union européenne a été déposée durant l’année 2023, contre plus de soixante-quinze mille marques verbales.

Les marques sonores restent donc relativement peu déposées en comparaison des marques « classiques ».

Pourtant, leur protection ne devrait pas être oubliée lors de la mise en place des stratégies globales de protection des entreprises en matière de Propriété Intellectuelle en ce qu’elles peuvent constituer des identifiants commerciaux et marketing forts au même titre que les autres types de marques.

 

Julie CHRISTOL 

 

Pour obtenir des informations et des conseils sur les marques « non traditionnelles » et « traditionnelles », contactez-nous à trademarks@gevers.eu. Le site Web du GEVERS est accessible sur le site www.gevers.eu 

 

 

[1] CJEU, 27/11/2003, C-283/01, Musical scope, EU:C:2003:641, § 55

[2]  TUE, 13/09/2016, T-408/15, Son d’un jingle sonore Plim Plim, EU:T:2016:468, § 41

[3]  TUE, 07/07/2024, T-668/19, Combination of sounds on opening a can of soft drink, EU:T:2021:420

[4]  EUIPO Guidelines on Trade Marks and Designs 2023

[5]  EUIPO Refusal of 25/05/2020 -No. 018190039 – Beach Hut Games Limited

[6]  EUIPO Refusal of 01/09/2023 -No. 018825563 – Automobili Lamborghini S.p.A.

[7]  EUIPO Refusal of 06/07/2023 -No. 018808525 – Claudiu – Virgil ȚĂRAN

[8]  EUIPO Registration of 21/7/2023- No. 018817652 – TONIUTTI ASSOCIES

[9]  EUIPO Registration of 20/01/2024-No. 018887647 – Fédération Internationale de Football Association (FIFA)

[10]   EUIPO « Common Communication on New Types of Marks » – CP 11 – April 2021